Par Boaz Shapira
La semaine dernière, Ahmed al Sharaa a effectué sa première visite d’État en tant que président par intérim de la Syrie. Il s'est d'abord rendu en Arabie saoudite, où il a rencontré le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), avant de se rendre en Turquie, où il a été reçu par le président Erdogan.
Ces visites sont très importantes pour al-Sharaa et la Syrie car elles ont le potentiel de façonner l’avenir du pays. Premièrement, al-Sharaa souhaite accroître sa légitimité en tant que leader et garantir le soutien des pays de la région au nouveau régime en Syrie. Ses visites hors de Syrie en tant que dirigeant du pays et son accueil par des dirigeants éminents de la région contribuent à établir et à renforcer son statut. Dans ce contexte, il est important de noter qu'au cours des dernières semaines, de nombreuses délégations diplomatiques du monde entier se sont rendues en Syrie, dont l'émir du Qatar, Tamim bin Hamad Al Thani, qui a visité le pays le 30 janvier.
Deuxièmement, et non moins important, al-Sharaa cherche à impliquer l’Arabie saoudite et la Turquie (et, bien sûr, d’autres pays) dans les efforts de reconstruction de la Syrie, sachant que ces efforts devraient durer de nombreuses années et coûter des centaines de milliards de dollars. Le recrutement de ces pays clés devrait également contribuer à lever les sanctions imposées à la Syrie et ainsi faciliter davantage les efforts de reconstruction.


Il est toutefois important de noter que la visite d'al-Sharaa est tout aussi importante pour l'Arabie saoudite et la Turquie. Les deux pays sont en compétition pour l’influence en Syrie (et dans la région au sens large) et tous deux ont clairement intérêt à être impliqués dans ce qui se passe dans le pays.
Les sommes importantes qui devraient provenir de divers projets de réhabilitation des infrastructures en Syrie dans les années à venir sont très tentantes, tant pour l’Arabie saoudite que pour la Turquie.
Pour l’Arabie saoudite, il s’agit d’un autre moyen de diversifier ses sources de revenus, conformément à la vision de MBS, et pour la Turquie, il s’agit d’une reprise potentielle après la crise économique actuelle dans laquelle elle se trouve.
Un autre intérêt commun des deux pays concerne les infrastructures énergétiques. Le rétablissement de la stabilité en Syrie pourrait permettre la réalisation de divers projets liés au transport de gaz et de pétrole de la région du Golfe Persique vers l’Europe. On peut par exemple penser au transport de produits pétroliers et gaziers depuis l’Arabie saoudite, via la Jordanie jusqu’en Syrie et de là jusqu’en Europe (via la Turquie ou la mer Méditerranée). Un itinéraire similaire peut également être utilisé pour le passage des marchandises, dans les deux sens, à l'image de la situation qui existait avant la guerre civile.
Des projets similaires sont également tentants pour la Turquie, qui serait ravie de prendre le contrôle, par exemple, des ports maritimes syriens ou de prendre pied dans les champs pétroliers et gaziers du pays.
Alors que les principaux intérêts économiques de l'Arabie saoudite en Syrie se concentrent sur des projets liés aux domaines de la construction, de la réhabilitation des infrastructures, des communications, du développement du marché, etc., pour la Turquie, il existe un autre aspect, lié à la réhabilitation de l'armée syrienne.
La Turquie est considérée comme un important fabricant d’armes de pointe et dispose de la capacité de répondre à de nombreux besoins de la nouvelle armée syrienne. Cela comprend les systèmes de missiles et de roquettes, les véhicules aériens sans pilote [drones], les navires, les composants de commandement et de contrôle, les véhicules blindés, les armes légères, les radars et bien plus encore.
En outre, des rapports apparus après la rencontre entre al-Sharaa et Erdogan affirment qu'ils ont également discuté de la possibilité d'établir des bases de l'armée turque en Syrie.

Ce ne sont là, bien sûr, que quelques exemples du potentiel inhérent à la reconstruction de la Syrie et de la possibilité pour l’Arabie saoudite et la Turquie d’y acquérir une présence significative. De plus, il est clair pour tout le monde que cette influence économique est censée se traduire par une influence politique et régionale, ce à quoi les deux pays aspirent.
source: Alma – Centre de recherche et d’enseignement